« DU CHARBON ET DES HOMMES »
Documentaire écrit et réalisé par Victor-Alexis Ferrand.
A l’automne 2019, il était une fouée… Un groupe se mobilise pour un événement autour du charbon de bois à Paimpont. Le public est invité à venir librement sur le site, pour observer deux processus de carbonisation à l’ancienne (meule et four). Le film retrace, à travers trois portraits, ces moments rares, et rend hommage au métier de charbonnier aujourd’hui disparu.
En 1973, Victor Renouard monte sa dernière fouée à proximité de la « côte de Beauvais », mettant un point final à 2 500 ans de pratique du charbonnage en forêt de Paimpont.
Si les charbonniers ont disparu de la forêt de Paimpont, leur mémoire est encore bien vivante pour bon nombre d’habitants. C’est aussi pour ne pas oublier ce pan de notre histoire locale, que des animations autour du charbon de bois ont été proposées depuis. Entre 1978 et 1993, plusieurs reconstitutions festives ont lieu à Paimpont, aux villages de Telhouët et de Beauvais.
A l’initiative de Guy Larcher et de Gérard Lelièvre, l’association des Amis du Moulin du Châtenay organise, du mardi 24 septembre au mercredi 9 octobre 2019, le montage d’une meule de charbonnier et l’utilisation d’un four à braisette pour une démonstration de fabrication de charbon de bois.
Cet évènement a lieu sur le terrain communal du Fouissay, au village de Beauvais, à Paimpont.
Le charbon de bois et autour du charbon
L’association des Amis du Moulin du Châtenay n’a pas voulu mettre uniquement l’accent sur le thème de la fabrication du charbon de bois.
Elle a également pour objectif de :
vulgariser cette pratique disparue depuis quelques décennies
créer un lien social entre les habitants,
proposer un enseignement pédagogique pour les enfants des écoles alentour,
raconter le mode de vie des familles, l’aspect social, économique et culturel des charbonniers,
montrer les différents métiers afférents au charbon de bois, bûcherons, forgerons.
Le moulin du Châtenay
Dans le cadre de cette manifestation autour du charbon de bois, l’association du Moulin s’est naturellement associée à la Fête des sciences, organisée également en septembre et octobre 2019 par son partenaire historique, la Station Biologique de Paimpont.
Le moulin du Châtenay, ancien moulin à farine en activité jusqu’à la fin des années 1950, est abandonné pendant plusieurs décennies.
A la fin des années 1970, il est restauré par l’université de Rennes 1 et mis gracieusement à la disposition de l’association des Amis du Moulin du Châtenay par la Station Biologique de Paimpont.
Dans les années 1980 à 1990, il est beaucoup utilisé pour des activités culturelles : soirées à thèmes, contes, concerts de musique, expositions photos, expositions hallucinantes de champignons, « harassées » de châtaignes, pièces montées de théâtre, causeries, etc.
Du charbon, pour quoi faire ?
Afin de transformer le minerai en fer, la métallurgie pratiquée à Paimpont par les forges nécessite dès son origine l’utilisation du charbon de bois.
Ce travail du fer est attesté à Paimpont depuis la période dite Âge du Fer, il y a environ 2500 ans.
A partir de 1660, les hauts fourneaux consomment du charbon de bois sans commune mesure avec l’activité antérieure. Toute la production forestière est utilisée par les forges. L’impact sur le milieu forestier est très important et fait disparaître la futaie.
Au milieu du 19e siècle, les nouvelles technologies rendent non compétitives les forges au charbon de bois et provoquent l’extinction définitive des hauts fourneaux en 1884 et par là même, le principal débouché du charbon de bois. Seuls un atelier de construction mécanique et une fonderie subsistent jusqu’en 1954.
L’organisation de l’évènement – Il était une fouée
La manifestation se déroule du 24 septembre au 6 octobre 2019. Toutefois, la préparation nécessite l’implication de bénévoles du 20 septembre au 20 octobre.
Pour réussir cette grande fête, il est nécessaire de réunir beaucoup de participants. L’association des Amis du Moulin du Châtenay lance un appel aux habitants et une cinquantaine de bénévoles proposent leurs bras, leur dévouement et leur bonne humeur pendant près d’un mois.
La préparation de la fouée nécessite
de couper, fendre et d’acheminer treize cordes de bois, utilisées pour la meule et le four à braisette,
de préparer les « plisses » d’herbe et de terre,
de fabriquer les « hayons » avec des genêts,
de nettoyer l’emplacement de la fouée,
d’apporter de la terre fine d’anciennes charbonnières,
d’assurer l’accueil du public avec le montage des barnums, les chalets, les tables, les bancs, l’électricité du moulin du Châtenay, etc.
La charbonnière
Les frères Guégan, les derniers charbonniers de Paimpont n’étant plus là, il fallait, pour mener cette belle aventure, trouver une personne capable de conduire le feu d’une charbonnière.
Gérard Lelièvre, parmi ses multiples connaissances, a pour ami Laurent Rannou, animateur nature à l’écomusée des Monts d’Arrée à Saint-Rivoal (Finistère). C’est un amateur éclairé, un passionné du charbon de bois. Il est une des dernières personnes à fabriquer occasionnellement, du charbon en meule, en Bretagne. Il adhère au projet avec enthousiasme.
Laurent Rannou n’est pas seulement un passionné du charbon de bois, c’est aussi un dessinateur avec du fusain fabriqué par ses soins au pied de la meule, un raconteur d’histoires pour les enfants et les grands, un vulgarisateur de choses compliquées dites avec des mots simples. Il se définit surtout comme un jardinier passionné par la nature.
On dit aussi la meule, mais je finis par dire la charbonnière. La charbonnière en tant que telle, c’est aussi les collègues qui passent, les discussions qu’on a pu avoir a toutes heures du jour et de la nuit, à des heures qui n’ont pas de noms. Pour moi, la charbonnière c’est un ensemble qui comprend les gens. C’est aussi le café qu’on boit le matin ensemble. Le plaisir de voir le soleil se lever, le soleil se coucher. Je suis un jardinier qui s’intéresse au charbon de bois.
Dans le cadre du charbonnier, c’est un métier qui a occupé l’homme toute sa vie, de jour comme de nuit. Cela va au delà du métier, c’est carrément un mode de vie.
On met en pratique pour essayer de comprendre les choses. Pour une bonne compréhension, il faut pratiquer.
Si je prends plaisir à faire ces animations, c’est pour puiser des éléments. Des éléments que me donne la meule, mais aussi les gens qui tournent autour.
Avant tout, monter une meule, c’est une pratique qui donne des éléments de compréhension.
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Le four à braisette
Claude L’Hyver est le maitre d’œuvre du four à braisette. Forgeron, artisan coutelier à Maxent (Ille-et-Vilaine) c’est un personnage essentiel de l’évènement. Il partage avec un grand plaisir et un enthousiasme communicatif sa maitrise de la carbonisation en four.
C’est un personnage inventif dans des domaines aussi variés que la métallurgie, la culture des tomates ou la fabrication de glaces « maison » parfumées à toutes sortes de fruits.
Il est aussi philosophe à ses heures.
Ce qui est dingue, c’est que tout est là, tout ce dont nous avons besoin est là, sous nos pieds, la base de nos outils, de la nourriture, de l’énergie.
À partir des années 1920, le charbon de bois est utilisé comme carburant automobile transformé en gaz dans un appareil inventé par Georges Imbert, le gazogène.
Le charbon de bois en fours à braisette a grandement contribué aux besoins de l’industrie et des véhicules au gazogène. Ce type d’activité a été particulièrement importante en forêt de Paimpont entre 1940 et 1945.
À partir d’une citerne à fuel, Claude L’Hyver tronçonne, arase, meule, soude, découpe dans de la tôle de cinq millimètres d’épaisseur, pour pouvoir transformer la cuve en four à braisette.
Le four a une contenance d’un mètre cube et demi, équivalent à un stère et demi de bois soit une demi-corde.
Lors de la fête du charbon, cinq carbonisations en four métallique sont effectuées, à raison d’une fournée tous les deux jours, pour un production d’environ cent cinquante kilos de charbon de bois par fournée.
La forge
Philippe Klein, forgeron, artisan d’art à Monterfil (Ille-et-Vilaine) est un autre personnage incontournable de l’animation. Il effectue de nombreuses démonstrations de forge, entre autres une magnifique tête de cheval, devant près de quatre cents élèves des écoles environnantes – Paimpont, Concoret, Plélan-le-Grand, Augan et Monterfil – émerveillés par ces moments de découverte du charbon de bois, du fer et du feu.
Prendre le quart de trois heures
La mise à feu de la fouée a lieu le dimanche 29 septembre en début d’après-midi, au grand soulagement des organisateurs et du public. L’autorisation par la préfecture de « faire du feu », n’est délivrée que deux ou trois jours avant la date prévue. En effet, la fin septembre est classée en période « sécheresse » (il n’a pas plu depuis trois mois).
Des braises de charbon de bois de la première fournée du four à braisette sont introduites dans la cheminée pour allumer la meule. À partir de cet instant, Laurent Rannou indique qu’il est indispensable d’effectuer une surveillance constante de la fouée.
Les équipes de bénévoles se mettent en place.
Les postes importants sont répartis de façon à réussir cette grande fête.
l’accès aux différents parkings,
le chalet pour l’accueil du public,
la buvette,
et bien sûr la surveillance de nuit de la charbonnière.
La nuit, la surveillance de la meule par équipes de deux nécessite des quarts de trois heures, 23h-2h, 2h-5h et 5h-8h et cela pendant six nuits.
A chaque instant, des explosions intérieures ouvrent dans la couverture, des cheminées qu’il faut boucher le plus rapidement possible pour éviter la combustion complète du bois et du charbon, ne produisant alors que des cendres.
Couvre-feu avant extinction
Pour éteindre la fouée, il faut boucher hermétiquement les évents, afin d’empêcher l’arrivée d’oxygène.
Quelques heures après, on rafraîchit la meule en enlevant au besoin un peu de terre brûlante pour la remplacer par une autre froide et plus humide si possible, qu’on dame afin d’activer l’extinction de la masse.
La fouée est éteinte le vendredi 4 octobre au matin. Un premier défournement partiel de démonstration au public est effectué le dimanche 6 octobre. Mais la tête de la fouée est vite rebouchée, car la charbonnière n’est pas décidée à se laisser mourir ainsi.
Laurent Rannou constate avec un peu d’inquiétude que la carbonisation et le refroidissement ne sont pas près d’être terminés. Il faut encore au moins trois nuits de surveillance. Une remobilisation des bénévoles est nécessaire et s’effectue sans aucune hésitation.
Au bout de neuf nuits de surveillance, la meule s’essouffle enfin. Une deuxième et une troisième extraction sont effectuées et au bout de dix-huit jours, la quatrième extraction est la bonne. Ouf ! de soulagement pour les corps et les esprits.
La production entre le four à braisette et la meule représente environ 2,3 tonnes de charbon de bois d’excellente qualité, selon les forgerons Claude L’Hyver et Philippe Klein.
Entrée des artistes
Autour de cette fête du charbon de bois, un grand nombre d’artistes, musiciens, chanteurs, conteuses, dessinateurs, forgerons, se produisent tout au long des journées du samedi 5 octobre, des dimanches 29 septembre et 6 octobre.
— Ateliers fusain
Des ateliers fusain, pour les quatre cents enfants des écoles sont animés par Luc Pérez (Notre ami Luc est décédé brutalement en 2021) et Laurent Rannou.
— Ateliers forge
Les ateliers forge, toujours pour les enfants, sont animés par Claude L’Hyver et Philippe Klein.
— Musique
Plusieurs interventions musicales sont proposées.
les chants de marins avec le groupe Tapcul,
la chorale du Verger (Ille-et-Vilaine),
deux concerts de harpe avec Lawena,
des musiques de Bretagne et d’ailleurs.
A la nuit tombée, un groupe de musiciens commence à interpréter une danse bretonne, le kost ar c’hoad. Une dizaine de personnes se lèvent au son de la clarinette et de l’accordéon et entament cette danse venue du fin fond des bois de Quénécan.
Quelques instants plus tard, sous la lumière jaune et blafarde d’un projecteur de fortune, d’autres danseurs les rejoignent, « tapent du pied et sautent en rond » autour de la fouée.
Dans les volutes des fumées blanches et bleues, soufflées par les évents de la charbonnière, les silhouettes fantomatiques tournent et tournent, comme les korrigans sur la lande à la lueur d’un clair-obscur de pleine lune.
C’est le début de la nuit en fête, le « fest noz ».
En plus des interventions musicales programmées, Catherine Aubert nous a interprété une chanson de charbonniers, collectée il y a une quarantaine d’années à Sérent (Morbihan), devant un public de choix et conquis.
— Sorties contées
Le conteuse Katia Bessette propose :
un conte sur les métiers autour de l’étang du Châtenay,
une balade contée et chantée le long de la rivière de l’Aff.
— Sorties en forêt
la gestion actuelle de la forêt (Mathieu Delaunay et Jean-Marie Caro),
l’histoire de la forêt avant les forges (Gérard Lelièvre),
l’histoire de la forêt et du compagnonnage (Joseph Boulé et Gérard Lelièvre),
— Conférences à la Station Biologique de Paimpont
l’histoire des forges de Paimpont (Guy Larcher),
les charbonniers à Paimpont (Laurent Goolaerts),
le collectage sur les charbonniers et autres métiers (Laurent Goolaerts et Vincent Morel),
le compagnonnage chez les charbonniers (Joseph Boulé).
— Expositions photographiques – Les charbonniers à Paimpont
Deux expositions ont lieu à l’occasion de cet évènement.
La première, consacrée à la fouée de 1993, à partir de photos de Pascal Glais, est présentée successivement à la médiathèque de Paimpont et à celle de Monterfil à l’automne 2019. A cette occasion, Guy Larcher intervient également devant soixante-dix enfants des écoles de Monterfil.
La seconde a lieu à la médiathèque de Paimpont à l’automne 2020, à partir d’une sélection effectuée parmi les deux mille photos prises tout au long de cette manifestation par le club photographique de Brocéliande de Plélan-le-Grand et par beaucoup d’autres photographes amateurs.
— Une petite restauration
Une petite restauration, mais de grande qualité, est possible sur le site avec l’excellente « galettes-saucisses » de Christian Raguin, le camion frites de Julie, les tartines et les soupes de Marie, Françoise et Charlotte.
Au delà de la meule, je trouve que cela crée sur Beauvais-Paimpont une rencontre des gens, de générations différentes, entre les habitants dits « de souche » et les nouveaux arrivants. Je pense que ça fédère quelque chose, ça crée du lien. Je trouve cela très important, presque aussi important que la meule. C’est bien je trouve, ça fait tomber des barrières.
Quand on parle des « étrangers », ce qui fait peur, c’est la méconnaissance de l’autre. Alors qu’en fin de compte, quand on arrive à se faire se rencontrer les gens, j’ai l’impression que ce rideau là, il tombe. Là il se crée quelque chose. A mon avis, il faut fonctionner comme çà.
Parce que sinon, avec tout ce qu’on entend, tout ce qui se passe dans le monde, on s’en sort pas. Il ne faut pas s’isoler. Il faut revenir sur le local, au niveau de l’alimentation, de la culture etc.
Marie-Thérèse Martin, habitante du village de Beauvais a écrit un texte sur l’évènement Il était une fouée. Son témoignage fait ressortir le lien créé par cette rencontre, avec une envie commune de partager de bons moments de convivialité et de solidarité.
Un vrai cinéma
Pour ne pas perdre au fil du temps, les souvenirs et la mémoire de l’histoire locale, l’association des Amis du Moulin du Châtenay décide de faire un film sur cet évènement du pays de Brocéliande.
L’association contacte un habitant du village du Cannée à Paimpont, Victor-Alexis Ferrand, cinéaste professionnel, producteur-auteur-réalisateur.
A l’origine, le projet consiste dans un court-métrage, d’environ vingt minutes. Victor-Alexis Ferrand se montre très intéressé et accepte la proposition de l’association.
Le projet fait l’objet d’un financement participatif.
Au fil des jours, le réalisateur est de plus en plus présent sur le site, à toutes heures du jour et de la nuit. Il se prend de passion pour cette charbonnière.
Le court-métrage s’allonge, de vingt minutes il passe à trente deux minutes, puis à cinquante deux minutes pour devenir un vrai long métrage, d’une heure vingt-et-une minutes.
Victor-Alexis Ferrand, à travers les images, les textes et la musique de son film, réussit à mettre en lumière une ambiance souhaitée par les Amis du Moulin du Châtenay, de partage, de solidarité et de volonté de mise en valeur du collectif, autour d’un projet commun.
Hommage aux charbonniers
C’est le charbonnier Retiré dans ses bois Qui exerce sans trêve Son noir métier Comme lignes en forêt Son destin était tracé Son chemin est celui Que son père avait pris Nuit et jour durant Dans la poussière et les nuées Il dompte la flamme Des rondins ardents Parfois le soir venu Il délaisse quelques instants La meule et ses tourments Et se confie libre et fier Aux astres de la clairière S’il redoute la pluie et le vent Son regard s’illumine Dès que s’élève de sa fouée Une étrange fumée bleue.
Pour certains, les charbonniers c’étaient quasiment des voyous, des voleurs, etc. Ceux que j’ai connus n’avaient pas du tout ces caractéristiques, et puis au contraire, c’étaient des gens vraiment intéressants. Je crois effectivement que c’est des gens intéressants, que c’étaient des gens intéressants, parce qu’il n’en reste plus.
Le poème du charbonnier
Le charbonnier Rien n’est plus fier qu’un charbonnier Qui se chauffe à la braise ; Il est le maître en son chantier Où flambe sa fournaise. Dans son palais d’or, Avec son trésor, Un roi n’est pas plus à l’aise Il a la forêt pour maison Et le ciel pour fenêtre, Ses enfants poussent à foison Sous le chêne et le hêtre ; Ils ont pour berceau L’herbe et les roseaux, Et le rossignol pour maître Né dans les bois, il veut mourir Dans sa forêt aimée ; Sur sa tombe, on viendra couvrir Un fourneau de ramée : Le charbon cuira, Et son âme ira Au ciel, avec la fumée.
André Theuriet (1833-1907) est un poète, romancier, auteur dramatique.